Les chiens dits particuliers
Les chiens en attente d’adoption ont tous un point commun : la perte de repères. Parmi ces chiens qui attendent une famille, certains ont un passif inimaginable comme celui d’avoir vécu dans la rue, ceux dont l’existence dérange, ceux qui sont voués à une vie de laboratoire et enfin, les chiens maltraités volontairement et les maltraités par méconnaissance.
Passons aux chiens de Roumanie
Sibylle, point de vue d’une adoptante.
Elle voulait adopter un chien déjà adulte entre 1 et 3 ans. Elle a contacté plusieurs SPA sans jamais avoir de réponse. Elle s’est donc tournée vers des associations et en l’occurrence, des associations de chiens de Roumanie. Elle était pourtant frileuse car une chose était sûre : pas de chien polytraumatisé. Pas envie de récupérer un chien qui ne connaissait rien à la vie de famille.
Et finalement, après des mois de recherche, elle s’est arrêtée sur la photo de Romarin. Ça serait lui et aucun autre.
Après un premier contact téléphonique, c’est l’heure de la venue d’une bénévole à son domicile pour voir comment l’habitat peut être aménagé pour le chien.
Il faut savoir que les associations préviennent en amont des problématiques potentielles mais on ne peut pas imaginer ce qu’est la réalité. On espère toujours que le chien aura une voire deux grosses problématiques mais qu’il ne peut quand même pas avoir tous les problèmes de la Terre…
Ca y’est, c’est enfin le jour J. Le camion arrive après ses 40h de trajet. La descente des chiens se fait au sein d’une cour clôturée. A sa descente, Romarin est bien plus maigre que sur les photos et son poils est dans un état terrible.
Une fois que les conditions administratives sont réglées, Sibylle rencontre son chien. Elle lui fait se dégourdir les pattes, les besoins qu’il n’avait pas pu faire depuis deux voire trois jours, et ensuite un dernier voyage jusqu’à son domicile. Il se laisse mettre le collier, le harnais et la laisse et suit Sibylle sans difficulté. Romarin s’est vu confié à Sibylle et il s’en est remis à elle instantanément, comme s’il savait que cette personne serait sa gardienne et qu’une vie enfin paisible l’attendait à ses côtés.
Après une bonne nuit de sommeil, c’est l’heure de la toute première promenade. Sibylle vit dans un petit village suisse, personne à l’horizon à 7h du matin. C’est le début d’une nouvelle vie à deux ! On peut imaginer le bonheur d’avoir sauvé un chien, d’être enfin responsable de son tout premier chien, seule à bord du navire, c’est très exaltant. Surtout quand on en a rêvé pendant des années et que le rêve devient réalité.
Les problèmes arrivent moins de 24h après son arrivée : Romarin est en réalité déshydraté et affamé. Et en plus, il est ultra réactif sur absolument tout ce qui l’entoure. Tout le rend fou. Il aboie, le poil hérissé, les dents dehors : on dirait un fou.
Il accepte Sibylle mais rien, ni personne d’autre. C’est le début d’une longue période d’isolement pour le binôme. D’un côté les regards méchants, anxieux et les jugements des gens qui voient ce chien « fou furieux » comme le pire des dangers et de l’autre un chien qui se sent agressé par tous les objets, humains et bruits qui l’entourent.
Romarin avait un profond mal être et des habitudes pour pallier ses stress bien ancrés : plein de tocs qui consistaient à se bouffer les pattes et les avant-bras. Il s’arrachait la fourrure à de nombreux endroits. Il mâchouillait le bout de sa queue. Quand elle le laissait, ne serait-ce que 30/40 min, elle retrouvait du sang de partout dans son appartement. Il passait son absence à s’arracher les croûtes, les poils, etc… Elle ne pouvait pas le laisser seul. Rendez-vous compte, elle ne pouvait pas avoir une heure de répit. Cela a été difficile de trouver un pet-sitter qui acceptait de venir s’occuper de Romarin sur le long terme. Les éducateurs rencontrés étaient inefficaces pour Romarin. Les protocoles étaient tous inadaptés. Donc une adoptante qui ne peut pas se faire épauler par des professionnels canins, qui se fait rejeter par la société et qui se retrouve seule chez elle avec un chien « pas sortable ». Heureusement, Romarin a toujours été adorable avec elle.
Sibylle a fait le choix de l’immersion : « il a peur de tout donc je lui montre tout, tous les jours. Immersion totale. En trois mois, il est passé de chien « fou » à un chien qui peut vivre en collectivité. Elle me disait que trois mois, dit comme ça, ça pouvait sembler rapide, mais ce sont trois mois intensifs, 90 jours : avoir un œil sur lui constamment, prévoir un pet-sitter pendant ses heures de travail. Avoir un pet-sitter qui connaît assez bien les chiens pour ne pas partir dès le premier grognement, etc…
Sibylle qui est de nature assez sociable, s’est retrouvée isolée de tous contacts. Plus rien n’était adapté pour son chien, puisque tout le rendait fou.
« C’est terriblement dur de se sentir rejeté.
L’isolement social que génère l’adoption de ce type de chien est très difficile à vivre. Les chiens des pays de l’est et même combat pour les rescapés d’Espagne. Le jugement quotidien, les regards des gens que l’on croise est terriblement usant moralement. N’aidez pas le chien, aidez l’humain derrière en jouant le jeu : préférez des sorties adaptées au chien, ignorez le chien, lancez des friandises au loin si vous y êtes invités. Ce n'est que de cette façon que vous pourrez aider l’humain et indirectement vous aiderez le chien. L’isolement social est la pire des punitions. Sans un entourage bienveillant et coopératif, mieux vaut adopter un chien facile, ou même un chiot. »
J’espère avoir suffisamment bien restitué le témoignage de Sibylle. Nous nous sommes rencontrées au cours d’une formation au refuge AVA en Normandie. Elle a adopté Romarin au moment où elle a commencé sa formation d’éducateur canin, il y a environ trois ans. Malgré le fait qu’elle avait déjà un pied dans le métier, le combat pour transformer Romarin en un chien accepté socialement a été rude. Et cela l’est toujours, car de nombreuses précautions doivent toujours être prises au quotidien.
A travers cette expérience, elle s’est rendu compte de la merveilleuse cohésion de son entourage proche.
Pour terminer, il se trouve que Romarin avait déjà 4 ans au moment de son adoption. Il a passé deux ans à vagabonder dans la rue (trouver de la bouffe, ouvrir les portes, se défendre...). Il a toujours appris à se débrouiller seul. L’ancrage est si puissant que certaines choses sont et resteront très certainement inchangées : impossible de lui apprendre un vrai rappel efficace, même trois ans post- adoption. C’est un chien très indépendant qui n’apprécie pas les câlins, il n’apprécie pas les gens ni les invités et il ouvre les portes. Dernièrement, pendant une absence, il a défoncé le parc dans lequel il était ainsi que deux portes de la maison pour sortir.
Mille mercis à Sibylle de « Dogstories » qui m’a fait un témoignage aussi généreux qu’émouvant.
Passons au point de vue de Fiona pour l’association française Wof.
Ici aussi, c’est avec un premier contact téléphonique que l’histoire commence. Les futurs adoptants passent un entretien téléphonique. De nombreuses questions sont posées dont celles-ci : « Quelle vie aura le futur chien ? Avec quel type d’éducation les futurs adoptants sont familiers ? » Si l’association valide le profil et que les adoptants sont toujours motivés, une visite sur place est programmée.
Quand tout est validé, l’adoptant doit attendre la fameuse arrivée du camion.
De son côté, l’association utilise son camion « Wof » ou alors organise un trajet avec un transporteur professionnel. 40h de trajet entre la Roumanie et la France. La réglementation est très précise à ce sujet, toujours dans l’intérêt de l’animal. Une fois les chiens installés, ils ne ressortiront du camion qu’à la fin du trajet. Comme le veut la réglementation française, il y a un long contrôle vétérinaire à l’arrivée du camion. Le camion est attendu dans une cour avec des murs suffisamment hauts pour qu’aucun chien ne s’enfuie si jamais un chien venait à échapper au contrôle du nouvel adoptant.
Chaque adoptant rencontre son chien. Ensuite, chaque histoire est différente. Beaucoup ressemblent à celles de Sibylle et Romarin et d’autres sont plus sereines comme celle de Fiona. Elle a adopté une première chienne Callie arrivée bébé à 4 mois et demi. Et quelques années plus tard c’est Sparrow qui est arrivé à un an. Physiquement il n'y a trop rien à signaler, à part un surpoids de l’un des chiens. Sinon RAS.
Elle me disait que pour la majorité des chiens, les 40h de trajets étaient sans doute leur tout premier trajet. A la descente, certains chiens ont mal vécu la cage de transport, d’autres demandent des câlins, bref, ça dépend du caractère de chacun. Les trois premiers jours, ses chiens ont beaucoup dormi. Ils se remettent tranquillement de leur long voyage. Découvrent une nouvelle nourriture, un nouvel environnement, une nouvelle langue, de nouvelles façons de faire.
Les tempéraments se réveillent jour après jour.
L’association présente les chiens sur photo avec un descriptif du comportement dans un contexte précis. Bien souvent c’est le contexte du refuge. Et puisque les adoptants proposent une vie bien différente des refuges en Roumanie, les comportements sont toujours très différents. Donc, cela peut donner une idée sur l’inhibition ou l’aversion du chien mais, en réalité, c’est juste une information à un moment T.
En général, aucun chien n’est connu agressif, on ne valide pas le transport à un chien agressif. Mais un chien, aussi mignon soit-il, a des dents de carnivores, donc ne pas se reposer sur l’idée que ce chien ne peut être agressif, et une nouvelle vie est tellement différente de l’ancienne, que c’est forcément brutal et chaque chien fait comme il peut pour s’y conformer.
Il faut savoir encore une fois que ce sont tous des chiens des rues. Ils sont par définition indépendants. « Pour eux, chaque habitation est un 5 étoiles. Mais aucun n’est habitué à être entre quatre murs, avec un humain de compagnie. Il est primordial de prévoir un espace où le chien pourra se retirer et être vraiment seul. » Il va apprendre à son rythme, petit pas par petit pas, comme dirait l’autre. Pour prendre sa place progressivement dans cette vie de famille.
Les problèmes récurrents : apaiser des chiens craintifs. Malgré les bons gestes et les bonnes façons de faire, un chien traumatisé peut mettre des années avant de s’apaiser, faire confiance. C’est l’objectif de leur vie.
C’est au contact de ses deux chiens que Fiona a appris les codes canins. Sans cela, elle ne pouvait pas communiquer avec ses chiens. Ils l’ont fait entrer dans ce monde passionnant qu’est la communication canine et ses codes canins. Sa difficulté a été d’arriver à leur montrer qu’ils n’avaient plus rien à craindre. J’ai également rencontré Fiona au cours de la formation chez AVA.
Merci Fiona pour ton partage. Je te souhaite encore pleins d’accompagnements pour de belles adoptions réussies !